Financer la liberté

La question pratique la plus controversée à propos d’un système libertarien est le financement. Comme les taxes sont hors de question parce qu’elles représentent un usage de force contre les citoyens honnêtes, il faut examiner des alternatives viables.

Pour comprendre l’étendue du problème, il faut noter qu’un gouvernement libertarien serait considérablement réduit comparativement aux systèmes que nous connaissons – non seulement parce qu’il aurait très peu de fonctions, mais aussi parce que ces fonctions seraient partiellement comblées par le secteur privé et seraient beaucoup plus réduites en étendue.

Il est aisé de voir comment la plupart des secteurs financés aujourd’hui par nos taxes disparaîtraient vite. L’intrusion du fusil de l’état dans la santé, l’éducation, l’emploi, la science, la culture, l’environnement, les programmes sociaux deviendrait chose du passé et serait remplacé par les processus de libre-marché, qui seraient d’une efficacité et utilité supérieure.

Plus de bagage superflu

En éliminant ce bagage superflu, il ne reste donc que les fonctions de protection des droits naturels – i.e. protection des marchés, justice et sécurité publique, immigration et tourisme, relations intérieures et extérieures, ressources naturelles, armée – et certains biens qui sont vitaux pour le fonctionnement de la société, comme le transport d’électricité, les routes, les égoûts et l’eau. En pratique ces derniers biens devraient être progressivement mis hors de la portée du gouvernement.

Nous connaissons déjà des exemples de tribunaux privés, comme par exemple dans les organisations sportives. De même, il existe déjà des milices qui font figure de petites armées privées et vont combattre dans d’autres pays. Dans un système libertarien communautaire, il n’y aurait aucun problème à ce que ces biens soient partiellement comblés (sans évidemment l’être complètement) par le secteur privé, dans le cadre d’ententes contractuelles.

Enfin, l’étendue des systèmes publics restants serait aussi réduite en comparaison avec ce qu’ils sont aujourd’hui. Par exemple, l’absence de lois contre la liberté de posséder ou utiliser de la drogue, selon certains, réduirait le nombre de prisonniers et de cas d’arrestation de moitié. Sans nécessairement adhérer à cette proportion, nous pouvons supposer que l’effet serait très important. Une armée qui ne s’occuperait que de la protection de son territoire serait beaucoup plus réduite. Sans subventions, lois du travail et autres régulations, la protection des marchés serait beaucoup plus simple. Et ainsi de suite.

Afin de donner une idée de l’étendue de ces mesures, prenons l’exemple du Québec (voir “Budget Libertarien 2000-2001”). En tout et partout, il est facile de supposer qu’au moins 85% des dépenses de nos présents gouvernements sont destructeurs et inutiles. Des dépenses restantes, environ le quart sont pour des biens publics et le reste pour des fins administratives. Si nous incluons les services policiers et la justice comme biens publics, le pourcentage de dépenses attribuables à des biens publics monte à 40%.

Dans le cas du Québec, le 15% des dépenses restantes équivaut environ à 6 milliards de dollars. Les principales sources de revenus anticipées pour combler les dépenses administratives, en milliards de dollars, sont les taxes sur le carburant (1.6) et sur le tabac (0.51), les permis pour véhicules (0.68) et autres (0.17), les sociétés d’état (environ 1.7), et autres (1.13).

Dans le scénario où nous considérons la sécurité publique et la justice comme biens publics, nous pouvons combler le reste des besoins facilement avec ces sources, d’autant plus que la nouvelle économie engendrerait plus de productivité et donc plus de revenus.

Dans une optique capitaliste, la solution la plus élégante est l’utilisateur-payeur. La personne qui utilise les égoûts paie un certain montant. La personne qui utilise les routes paie pour cette utilisation. La personne trouvée coupable d’un crime paie pour les services judiciaires et policiers.

Cette solution n’est cependant pas complète. La raison principale est les coûts supplémentaires. Si 60% des frais d’opération du gouvernement sont administratifs, il faudrait donc plus que doubler le coût de ces services. De plus, comme certains de ces services seraient en compétition avec le secteur privé, on ne pourrait pas passer la facture.

La justice dans l’idée de passer toute la facture de l’administration du pays aux utilisateurs des biens publics est aussi précaire. Supposant quand même que les salaires et embauches publics sont limités par un processus démocratique, réduisant les frais administratifs de quare milliards à peut-être deux milliards, il faut trouver un moyen équitable et transparent de prélever cet argent.

Frais administratifs

Le coût des salaires des employés de l’état, bien que réduit, doit être compensé. Sans administration, le gouvernement deviendrait un simple appareil de fonctions sans guide, et donc ne serait pas un gouvernement mais une corporation. Nous tomberions donc dans un système anarcho-capitaliste, ce que nous tentons d’éviter le plus possible tout en dépensant le moins possible.

Ces frais représentent un manque à gagner d’environ 700$ par personne, par année, d’un point de vue très conservateur (présumant que les salaires présents ne changeraient pas, que personne dans les secteurs restants n’est mis à la porte, etc).

Les actions qui relèvent du service ou de la surveillance d’un secteur particulier peuvent être payées par des permits. Le prix du permis devient donc une compensation pour le travail effectué par des employés publics. Une personne voulant faire affaire dans des domaines avec des exigeances particulières se verrait obligé d’acheter un permis annuel, par exemple. Ce serait le cas de vente de pétrole, compagnies de sécurité publique ou militaires, personnes ou groupes imprimant une monnaie, pour donner quelques exemples.

L’administration des lois, des finances publiques, des affaires extérieures et autres fonctions sans retour tangible présentre notre dernier problème. Nous ne pouvons y mettre un coût d’utilisateur-payeur ou un permis. Les choix qui s’offrent à nous sont limités : soit passer la facture dans les permits, ce qui serait démesuré, ou compter sur les donations. Comme nous ne pouvons nous assurer des donations qui seraient faites au gouvernement, nous ne pouvons compter sur cette option.

Une troisième option s’offre à nous : les taxes sur le carburant, le tabac, les voitures. Bien que la notion de taxe soit corrompue, le nom de taxe pour ces prélèvements est mensongeur. En fait, un gouvernement libertarien ne pourrait que les prélever, puisque la pollution fait partie des dommages qui sont couverts par les lois. Une taxe sur le carburant, donc, n’est qu’une imposition anticipée sur la pollution générée par ce carburant.

Je suis parfaitement conscient qu’il y a des problèmes moraux dans cette mesure. Le problème le plus important est la non-nécessité de la pollution après l’achat de ce carburant.

La perte de valeur dûe au carburant utilisé dans les voitures est évaluée à 1.70$US au gallon (quatre fois les taxes américaines) en Angleterre (36 sous de pollution + frais dûs à la congestion, Regulation Magazine, Vol. 23 No. 4).