“Truster” l’antitrust

Un monopole inventé
 
L’histoire de Microsoft a fait couler beaucoup d’électrons depuis les six dernières années. La cabale des fanatiques d’Open Source (une autre chose qui me dérange, mais je suppose que je le garderai pour une autre fois), ainsi que les aspirants rats de bureaux, ne cessent de nos répéter que Microsoft est mauvais (« doubleplusinbon » en novlangue), tente de devenir un monopole, et toute sortes d’accusations semblables.

Le sujet de l’antitrust a déjà été abordé en détail. Je veux plutôt élaborer sur la mentalité antitrust et les abus de langage qu’il génère, ainsi que les erreurs élémentaires d’économie proférées par les tribunaux et pundits qui se prononcent sur l’affaire Microsoft.

Comme vous le savez peut-être, le tout a commencé avec l’enquête duDépartement de la Justice américain entre 1990 et 1995, qui s’est soldée parun décret contre Microsoft, forçant l’entreprise à ne plus lier les licencesWindows avec les licences d’autres produits. Évidemment, Microsoft n’a pasplié et a même ajouté Internet Explorer à sa liste de licences « liées », cequi donne le résultat que vous connaissez. Le DoJ considérerait aussiintenter une poursuite à plus grand déploiement qui, selon les experts,serait la fin de Microsoft.

Plus récemment, Microsoft s’est vu forcé d’engager des personnalitéspolitiques américaines, tel que des ex-conseillers de George Bush et JohnAshcroft, pour contrer le lobbying des forces anti-MS en la présence deKenneth Star et Robert Bork, et d’ex-conseillers de Bill Clinton. De plus,Microsoft a donné plus de deux millions de dollars aux deux partisprincipaux lors des dernières élections, ce qui représente presque la mêmesomme donnée par les compagnies rivales de Microsoft (Sun, AOL, Oracle).

Il est aberrant et disgracieux que nos sociétés « modernes » forcentd’honnêtes commerçants à gaspiller leur argent pour se défendre en relationspubliques, au lieu de les laisser produire. Ce n’est qu’un autre signe de lapuissance des groupes de pression dans une économie mixte, et del’inefficacité de cette dernière.

Retour à la case Départ

Ces derniers jours, la cour d’appel fédérale du District de Columbia reconsidère le jugement du Juge Jackson de briser Microsoft. Il semble probable que la cause sera réentendue, notamment à cause d’erreurs de procédures de la part de Jackson, qui a profité de la situation pour répandre des opinions anti-Microsoft dans les médias, et parce que Jackson n’a jamais réussi à prouver que le marché des fureteurs existe (ce qui est quand même assez important si on essaie de montrer que Microsoft s’est injustement approprié le marché des fureteurs – il faudrait au moins qu’il existe).

Avec, donc, une poursuite qui s’engage en Cour Supérieure, que pouvons-nouscomprendre de ces manoeuvres légales? La plainte initiale (UNITED STATES OFAMERICA vs. MICROSOFT CORPORATION, action civile #94-1564, que je nereproduirai pas ici pour fins d’économie d’espace) accuse Microsoft de: 1) demander aux manufacturiers d’ordinateurs qui font affaire avec eux de payerdes redevances pour chaque ordinateur vendu au lieu de chaque copie deWindows vendue, 2) exiger des manufacturiers de ne pas licencier d’autressystèmes d’opération, et 3) demander aux développeurs indépendants de ne pasrévéler des informations confidentielles sur les produits à venir. C’est làla seule étendue du « problème »: des contrats volontaires entre corporations.

L’intégration de Internet Explorer, d’un autre côté, est jugée problématiqueà cause du principe du levier: la domination de Microsoft dans le marchédes systèmes d’opération lui permet de pousser d’autres produits plusefficacement en les intégrant à Windows. L’intégration de logiciels est uneétape naturelle dans le développement d’un système, car il permet de laisserémerger des propriétés et façons plus efficaces de travailler; cependant, leDoJ ne voit pas cela du même oeil.

 
     « De dire que Microsoft doit cesser d’utiliser sa base de consommateurs pour vendre d’autres produits serait l’équivalent d’exiger de Mario Lemieux qu’il arrêter de tirer dans le filet parce que sa vitesse lui donne un avantage excessif. Un tel raisonnement est absurde. »
 

Ce qui est plus révélateur est la terminologie employée pour décrire cettesituation par les médias, qu’on dirait sortie tout droit d’un lexique deNovlangue. Par exemple, prenez le mot « monopole », qui est associé auxmauvais côtés du capitalisme (on n’a qu’à penser au jeu Monopoly).L’expression predatory tactics (tactiques prédatrices) associe des actionscontractuelles à des prédateurs déchirant la viande du corps de leursproies. Chokehold (étranglement) n’évoque pas des manoeuvres commercialesmais plutôt des prises violentes de lutteurs.

Mais il y a autre chose de plus important qui se cache derrière ces termes.« Prédatrice », par exemple, fait référence à un mode de subsistance basésur la survie du plus fort. Ceci n’est rien de plus que l’expression duprincipe de compétition dans la nature. Prétendre combattre la « prédation »et les « monopoles » équivaut à combattre la notion même de compétition,mais avec des termes douteux.

L’accusation elle-même révèle ce même principe. Que Microsoft réussisse àutiliser la popularité d’un logiciel pour en vendre un autre n’est qu’uneutilisation compétitive de ses ressources, autant que, par exemple, Unix quiutilise sa gratuité pour prendre le marché des serveurs. De tracer une ligneavant l’un et après l’autre est complètement arbitraire, car les deuxstratégies relèvent d’actions contractuelles, qui ne sont donc pas a priorimoralement condamnables. De dire que Microsoft doit cesser d’utiliser sabase de consommateurs pour vendre d’autres produits serait l’équivalentd’exiger de Mario Lemieux qu’il arrêter de tirer dans le filet parce que savitesse lui donne un avantage excessif. Un tel raisonnement est absurde.

Entre état et processus
 
La notion même qui veut qu’un monopole privé puisse exister révèle uneignorance du capitalisme et de ses principes. Il est impossible dedéterminer si une situation de marché est plus compétitive qu’une autre,pour la simple raison que la compétition n’est pas un état mais unprocessus – plus exactement, un processus d’échange libre et protégé.

Ceux d’entre nous qui ont eu à prendre des cours d’économie se souviennentde la doctrine Keynésienne de la « compétition parfaite », une situation quiexiste lorsqu’un grand nombre de fournisseurs ne retirent aucune marge deprofit. Un marché compétitif peut certainement se retrouver proche d’unetelle situation (surtout, comme nous pouvons le constater, dans un marché oùle produit est peu différencié et peu cher).

Cependant, la plupart des marchés capitalistes ne se retrouvent pas dans cetétat. Certains marchés contiennent un nombre restreint de compagnies, oumême une seule compagnie. Il est évident qu’un marché abritant une seulecompagnie verra son prix optimal (qui est dynamique, bien sûr), ainsi que leprofit possible, plus élevé que dans un marché soit-disant « parfaitementcompétitif ». Dans un marché compétitif, n’importe qui peut tenter des’établir et de prendre une part du marché si le prix monte trop haut.

Le fait d’avoir une seule compagnie dans un marché donné peut donc provenirde barrières naturelles à l’entrée élevées (demandes en financement,resources, marketing, etc), ou d’un succès incroyable de la part de cettecompagnie. Les entreprises comme AOL ou Microsoft bâtissent leur réputationsur la facilité d’utilisation de leur produit, ce qui touche une grandemajorité d’utilisateurs débutants ou peu enclins à apprendre des systèmescomplexes.

Les élitistes qui dénoncent la mauvaise qualité de ces logiciels s’yprennent de la mauvaise façon – ils ne comprennent tout simplement pas queleur point de vue est largement minoritaire (comme le prouvent, parnécessité, les chiffres d’utilisation de ces compagnies). La valeur d’unproduit n’est pas inhérente à celui-ci, à un quelconque attribut mystique ouà l’évaluation d’un utilisateur de Linux qui trouve Windows trop lent etinstable. La valeur d’un produit est une évaluation faite contextuellementpar chaque usager.

Dans un libre marché, la valeur d’un produit est déterminée par son prix (lepoint de rencontre dynamique de l’offre et la demande dans un contextedonné). Par exemple, dans le cas d’une seule entreprise qui domine unmarché, le prix est plus élevé parce que l’offre est concentrée (ce quiindique un produit rare ou difficile à produire – et donc une utilisation deressources moins efficace).

En bout de ligne, les attaques contre Microsoft (et les lois antitrust engénéral) sont motivées par la possession de pouvoir. Toute entreprise quidevient trop « puissante » au goût du monopole étatique devient une ciblefacile. Les seuls véritables monopoles qui existent sont les monopolespublics comme l’assurance-maladie, les hôpitaux publics, Hydro-Québec,Postes Canada, Bell Canada, Loto-Québec, la SAQ, les Casinos, la STCUM, etbien sûr, le gouvernement. C’est à eux qu’il faut s’en prendre et non à unecompagnie privée comme Microsoft, qui est dépendante de la vente de sesproduits, contrairement aux monopoles publics qui dépendent eux de leurcapacité d’attirer le plus de votes en manipulant les citoyens avec leur propre argent.